Questions de sommeil
Épisode 3 : Troubles du sommeil : quelles conséquences sur l’enfant ?
Intervenants :
Parents d’enfants
Aurélie, maman de Livio, 11 ans
Stéphanie, maman de Alice, 13 ans
Sophie, maman de Marie, 31 ans
Professionnels de santé
Pr Carmen Schröder, Pédopsychiatre, Strasbourg
Pr Stéphanie Bioulac-Rogier, Pédopsychiatre, Grenoble
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Aurélie :
Alors les conséquences sur l’enfant de ne pas passer une bonne nuit ou d’avoir un mauvais sommeil, on sent que ça a forcément des impacts sur sa disponibilité en tout cas pour le reste de ses prises en charge de la journée puisque, déjà, il va y avoir un petit décalage de sommeil. Moi je sais qu’il avait surtout des difficultés d’endormissement et des réveils nocturnes extrêmement longs qui pouvaient aller de 2 heures, on va dire entre 1h et 3h, entre 2h et 4h. Et donc du coup, il dormait le matin.
Donc effectivement ça a déjà des conséquences 1/ sur sa prise en charge, 2/ sur la scolarisation parce qu’à un moment donné, « est-ce que vous le réveillez, vous ne le réveillez pas pour aller à l’école » avec des réveils qui… du coup comme il était décalé j’imagine dans son cycle de sommeil… vous le réveillez, limite c’est comme si vous le réveillez en pleine nuit, donc avec des réveils extrêmement difficiles : des cris, des hurlements, des pleurs, donc… un moment assez important pour pouvoir le calmer.
Donc c’est déjà toute la journée qui part un petit peu sur des mauvaises bases. Et ensuite, c’est comment vous régulez aussi la suite de la journée : est-ce que s’il s’endort, vous le laissez s’endormir ou pas ? Est-ce que vous laissez perdurer cette dette de sommeil pour espérer que l’endormissement se passe plus tôt et mieux ?
Carmen Schröder :
Ca c’est typique ce que vous décrivez et c’est vrai que parfois ça initie un cercle vicieux, c’est exactement Aurélie ce que vous avez dit : l’enfant dort par exemple mal une nuit avec un très très mauvais sommeil. Forcément les parents sont en compassion, n’ont pas le cœur de le réveiller le matin et/ou la journée, l’enfant est extrêmement épuisé, on se dit « non mais il a vraiment besoin de dormir » et s’il s’écroule à 17 heures du soir, on dit « bah voilà, peut-être effectivement il n’a pas dormi la veille, donc on ne peut pas le réveiller, on ne peut pas lui faire ça ».
Et finalement, bien sûr, soit laisser dormir beaucoup plus longtemps, soit laisser faire des siestes durant la journée, ça risque parfois de faire rentrer dans une spirale et ça va vraiment dégringoler, avec de plus en plus de difficultés à l’endormissement, plus de réveils nocturnes, plus de sommeil le matin, plus envie de dormir la journée.
Donc dans le cas où il s’agit d’une toute première nuit ou juste une nuit où l’enfant dort mal, là plutôt le conseil pourrait être assez clairement de ne pas le laisser récupérer le matin, de ne pas le laisser faire une sieste.
Après, si c’est un trouble du sommeil plus chronique et ça se rejoue, évidemment, on ne peut pas avoir des recommandations aussi rigides, ça c’est tout à fait clair. Et là, parfois, il faut trouver des compromis, laisser dormir un peu plus longtemps le matin, essayer de voir quand dans la journée, on pourrait encourager un temps calme voire « sieste ». Voilà.
Sophie :
Alors je vais plus parler, peut-être, en plus vieille routarde, puisque c’est vrai que aujourd’hui ma fille a 32 ans on a toujours respecté ses horaires de départ à l’école d’abord et ensuite, j’allais dire, dans les organismes médico sociaux dans lesquels elle était accompagnée. Quitte à ce qu’elle ait effectivement des temps, mais prévus dans son emploi du temps, de sieste. Et ça a été très bénéfique, en tous les cas, pendant toute son enfance.
Et finalement, c’était assez bien, avec ce rythme scolaire, on va dire d’accompagnement jour nuit très identifié, qui s’est un petit peu cassé quand elle est rentrée, quand elle s’est mise à habiter chez elle. Finalement il n’y a pas de départs obligatoires à 8 h du matin ou à 9 h du matin… Et du coup ça s’est dérégulé parce que les professionnels l’ont laissée dormir le matin si elle se réveillait pas… Ce que moi j’ai trouvé important au fil de la vie, c’était d’essayer de comprendre le rythme, de se dire qu’elle devait avoir besoin de à peu près 8 h de sommeil sur un cycle de 24 h et qu’il fallait qu’on les trouve.
Et ça a beaucoup apaisé avec le temps Marie, même si elle savait que finalement, elle ne dormait pas trop la nuit, qu’elle pourrait récupérer le jour, mais à des moments très, très précis. Et on continue sur ce rythme-là en fait, elle a des temps un peu comme des bébés où en fait, il y a un temps de sieste le matin qui est prévu et un temps de sieste l’après-midi.
Stéphanie Bioulac :
Ce qui est important, c’est de se dire que ce soit chez l’enfant, l’adolescent, l’adulte, cette nécessité de mettre en place des routines. Chez l’enfant à développement typique c’est plus facile à mettre en place. Mais chez les enfants (ou les adultes) avec TSA, il faut voir comment on peut conjuguer avec l’environnement, avec l’emploi du temps, en étant réaliste….
Stéphanie :
Moi, les conséquences chez ma fille sont sensiblement les mêmes que ce qu’a évoqué Aurélie. Ce sujet de « qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on la réveille le matin ou pas ? » pour garder le rythme scolaire sachant, qu’effectivement, moi j’avais plutôt tendance à la réveiller, enfin pas tout le temps. On sait que la journée à l’école va être très certainement catastrophique, donc c’est démarrer une journée en sachant qu’on va dans le mur, c’est difficile.
J’ajouterais juste, l’une des conséquences qui m’avait vraiment surprise à l’époque, c’était de voir à quel point elle mobilisait une espèce d’énergie encore plus forte que d’habitude, une agitation plus plus, pour tenir toute la journée. […] d’autant plus que moi j’étais plutôt, au contraire, épuisée et un peu plombée. […] et donc la journée était deux fois plus épuisante, je pense, pour elle et pour moi, puisqu’il fallait qu’elle s’agite jusqu’au soir.
Stéphanie Bioulac :
Oui, ça c’est quelque chose qu’on sait dans l’expression un peu de la dette de sommeil, de la somnolence entre l’enfant et l’adulte. Les adultes, on va être fatigués, somnolents, alors que chez l’enfant, la somnolence, vraiment, peut s’exprimer par une espèce d’hyperactivité, d’agitation qui sert aussi à lutter contre la somnolence.
Carmen Schröder :
Oui, tout à fait. Et peut-être ce que vous avez évoqué en filigrane Aurélie et Stéphanie, c’est la conséquence possible sur la scolarité. Alors là, les parents n’ont pas toujours le regard parce que l’enfant est à l’école, mais on sait tout de même que c’est l’attention, qui est un peu la fonction cognitive, qui est la première touchée. Et si les enfants avec autisme ont souvent déjà des difficultés parfois de focaliser l’attention sur la bonne chose parce que tout paraît important, là ils sont davantage pénalisés par un sommeil déficitaire, soit en qualité, soit en quantité. Et du coup, l’apprentissage à l’école se fait de manière encore moins aisée, je dirais, qu’habituellement.
Sophie :
Je crois que cette question du sommeil est une question importante à aborder au niveau environnement.
Bien sûr, les parents doivent être au courant, mais aussi les professionnels qui accompagnent, c’est à dire que si c’est l’école, c’est l’enseignant, si on est en institut médicoéducatif, ce sont les professionnels médico-sociaux.
Stéphanie :
Moi je voulais juste effectivement rebondir sur ce que dit Sophie, parce que ça me semble effectivement important. Ces fameux matins où donc j’extirpais ma fille de son lit alors qu’elle avait dormi que 4 heures, ou en tout cas elle avait fait une insomnie entre 2h et 6h du matin. Je prévenais l’AESH de cette nuit très difficile, et je me souviens que l’AESH et l’enseignante me disaient que c’était une information précieuse, parce que ça permettait d’ajuster ensuite le niveau d’exigence par rapport à l’enfant.
L’information et la communication avec les professionnels qui vont intervenir dans la journée, c’est très important.
Carmen Schröder :
alors ce que vous avez dit par rapport à l’école et Sophie l’a souligné, mais même dans les institutions de soins, que ce soit maintenant dans le sanitaire ou dans le médico-social, je pense qu’on n’en tient pas assez compte. Je pense que c’est extrêmement important d’ajuster les exigences. Et ça peut expliquer pourquoi certains jours les enfants avaient fait des progrès auparavant, mais là il y a une sorte de rechute qui est observée et et c’est très important, à mon avis, de communiquer par un cahier de vie de l’enfant qui doit circuler.
Stéphanie :
Oui, et parce que là, justement se posait la question, et se pose encore pour beaucoup de familles la question, de savoir comment faire passer cette information. Très souvent pour les familles, on ne sait pas comment faire passer l’info à l’AVS ou à l’enseignante qui peut considérer que c’est une information qu’on donne pour dédouaner l’enfant des potentiels troubles du comportement ou frustrations qui pourraient se manifester.
C’est un sujet pour les parents. On peut se dire que c’est très simple, il y a qu’à le dire, mais en fait, ce n’est pas si simple que ça en pratique.
Aurélie :
Et puis surtout aussi si ça se répète, je dirais que quand c’est une mauvaise nuit tous les quinze jours ou tous les mois, ce n’est pas pareil que quand c’est tous les jours ou presque tous les jours. Si on le dit tous les jours, c’est un peu, voilà, on va se dire, est-ce que c’est une excuse qu’on met. Donc je trouve que cette répétition est assez difficile à gérer même dans la communication.
Sophie :
ce qui est important, c’est de dire que c’est un sujet qui concerne l’autisme et qu’il faut mettre sur la table. Ça fait partie de la problématique de cet enfant-là. Et donc, qu’est-ce qu’on met en place autour ? Et comment ? Et du coup, ça doit se partager. C’est obligatoire.
Carmen Schröder :
Et je pense vraiment, Sophie, que les troubles du sommeil justement se jouent 24 heures sur 24 en fait, et pas que la nuit. Et c’est vraiment important. Ça doit faire partie des évaluations systématiques, des questions posées, et de ce qui est discuté au sein de chaque projet pour les enfants, tout à fait.
Épisode 4
Troubles du sommeil : quelles conséquences sur l’entourage ?