Questions de sommeil
Épisode 1 : Mon enfant dort mal : est-ce « normal » ?
Intervenants :
Parents d’enfants
Aurélie, maman de Livio, 11 ans
Stéphanie, maman de Alice, 13 ans
Sophie, maman de Marie, 31 ans
Professionnels de santé
Pr Carmen Schröder, Pédopsychiatre, Strasbourg
Pr Stéphanie Bioulac-Rogier, Pédopsychiatre, Grenoble
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Stephanie :
Je suis Stéphanie, maman de deux enfants, dont Alice qui a 13 ans aujourd’hui et qui a eu reçu un diagnostic de TSA à l’âge de trois ans avec une suspicion qui a été posée dès l’âge de deux ans.
Aurélie :
Je suis Aurélie, je suis maman de deux enfants dont Livio qui a 11 ans. Il a un diagnostic de TSA avec une épilepsie associée, il a été diagnostiqué à l’âge de 3 ans environ.
Sophie :
Je m’appelle Sophie Biette. Je suis la maman de Marie, qui a 31 ans et qui présente un autisme dit de profil sévère. Elle a été diagnostiquée à l’âge de 2 ans et demi et son accompagnement a été sans rupture jusqu’à aujourd’hui.
Stephanie :
Alice c’était un bébé qui a été très calme donc qui a plutôt bien dormi jusqu’à l’âge d’un an, un an et demi. Après se sont mises en place, vers l’âge de deux ans, toutes les difficultés liées à l’endormissement. Et puis surtout, surtout, il y a eu les réveils nocturnes,
Sophie :
Si le sujet du sommeil n’était pas vraiment notre première préoccupation, c’est devenu assez vite une occupation familiale.
Aurélie :
Je pense qu’il n’a pas passé une nuit complète jusqu’à ce qu’il ait 5-6 ans et qu’on ait mis un certain nombre de choses en place pour que son sommeil s’améliore.
Sophie :
Le bébé Marie ne posait aucun problème de sommeil particulier, on dirait même qu’elle dormait plutôt trop. Et c’est plutôt vers l’âge de trois ans que sont apparus notamment des problèmes d’endormissement.
Donc on restait à côté d’elle 2, 3 à 4h avec elle pour qu’elle s’endorme. Et puis on avait l’impression que le reste de la nuit se passait bien. Et puis on s’est aperçu que petit à petit, le frigidaire était vidé, qu’elle rentrait dans les chambres de ses frères et sœurs. Enfin bref, elle s’occupait pendant la nuit, et on l’a même retrouvée sur le rebord d’une fenêtre grâce à des jeunes qui ont sonné à la porte vers 3h du matin. Et c’est à ce moment-là qu’on a commencé à se dire que ce n’était pas juste un problème d’endormissement et qu’il fallait prendre le sujet à bras le corps.
Carmen Schröder :
Je trouve que c’est très intéressant ce que vous dites, parce que si maintenant des troubles du sommeil dans les troubles du spectre de l’autisme sont extrêmement fréquents et touchent entre 50 et 80% des enfants, l’entrée n’est pas la même pour tout le monde. Donc il y a effectivement des parcours comme le vôtre où après une phase initiale où c’est plutôt trop de sommeil, l’enfant n’est pas très exigeant, ne pleure pas tellement, ne sollicite pas trop les parents, va bien dormir un certain temps et finalement progressivement vont apparaître des troubles du sommeil et c’est souvent comme vous le décrivez ; d’abord des difficultés d’endormissement et après il y a des réveils nocturnes qui vont s’y associer.
Alors que pour d’autres familles, ils vont décrire que dès le départ, finalement, l’enfant dormait très mal, avait des très courtes périodes de sommeil, qu’il n’arrivait pas à se stabiliser, avait aussi durant la journée des siestes vraiment très, très courtes.
Quoi qu’il en soit, à un moment donné, on arrive presque au même résultat avec ces difficultés d’endormissement, qui sont importantes et en plus les réveils nocturnes. Et comme vous le décrivez bien, ce qui est, je pense, spécifique des réveils associés aux troubles du spectre de l’autisme, ils sont souvent de longue durée et l’enfant est complètement réveillé comme si c’était le jour et a souvent envie de faire les choses. Donc chez vous, elle se balade, elle se préoccupe, elle mange, elle va à la fenêtre, etc. Et donc ça peut, dans un cas comme Marie, être très dangereux. Et ces mises en danger vont alerter les parents qui, du coup, n’osent plus du tout dormir. Donc ça peut créer des situations assez dramatiques au niveau familial.
Aurélie :
Pour ma part, je pense qu’il a toujours mal dormi. Il n’y a pas eu de début on va dire, un peu plus calme. Et je pense qu’il n’a pas passé une nuit complète jusqu’à ce qu’il ait 5-6 ans.
Et du coup avec, exactement ce que vous décrivez, c’est à dire des difficultés d’endormissement mais surtout associées à des réveils nocturnes très longs où, effectivement, entre 1h et 3h du matin ou entre 3h et 5h du matin, il ne dormait pas, il rigolait, il se levait, il sautait sur le lit.
Stephanie :
Les premiers signes qui m’ont marqué par rapport au sommeil c’était ce que moi j’appelle des terreurs nocturnes mais des terreurs nocturnes mais très fortes. Pour en avoir discuté après avec des amis, d’autres mamans, les terreurs nocturnes de leur bébé, elles duraient un quart d’heure et puis voilà, c’étaient des pleurs, etc. Chez nous c’était une heure, une heure et demie de cri, d’un enfant que je ne reconnaissais plus, qui ne me reconnaissait plus, en tout cas j’avais l’impression, qu’on ne pouvait pas toucher, à qui on ne pouvait pas parler, enfin c’était quelque chose d’extrêmement impressionnant.
Stephanie :
Après se sont mises en place, vers l’âge de deux ans, toutes les difficultés liées à l’endormissement qui faisait qu’on devait rester à côté d’elle pendant une heure quand c’était les bons jours, deux heures les jours plus compliqués. Et puis il y a eu les réveils nocturnes, là aussi à partir de cette période de deux, trois ans. Et c’était une à trois fois par semaine, des réveils qui duraient de 2h du matin jusqu’à 5 heures. Avec soit des moments où elle était très angoissée, soit au contraire des moments où elle était très en forme, où elle rigolait, et effectivement avec l’envie de se lever.
Stephanie Bioulac :
Et bien sûr, avec les nuits qui se passaient très mal, les journées étaient encore plus compliquées pour tout le monde au lendemain.
Carmen Schröder :
Parce que vous êtes fatiguée aussi.
Aurélie :
Oui, parce que vous êtes fatiguée aussi, donc vous supportez encore moins les autres symptômes associés et ça fait rentrer, effectivement, dans un cercle un petit peu infernal pour tout le monde.
Carmen Schröder :
Oui, on imagine vraiment quel impact ça avait à la fois ce que Sophie dit, Aurélie, Stéphanie, vous dites quand même que c’est extrêmement compliqué à gérer.
Comme vous dites, beaucoup d’angoisse le soir parce que si en plus on n’arrive pas à s’endormir, évidemment, l’enfant va être plus dans les stéréotypies ou les difficultés sensorielles vont plus être apparentes. Et après, ça fait boule de neige.
On voit vraiment ces intrications entre la symptomatologie autistique et les troubles du sommeils associés qui malheureusement se font souvent dans un cercle vicieux, l’un entraîne l’autre, aggrave l’autre etc.
Dans une de nos études, qu’on a publiée, on voit qu’à peu près 30% des comportements stéréotypés de l’enfant avec TSA peuvent être corrélés ou s’expliquer par des troubles du sommeil et des rythmes circadiens.
Aurélie :
C’est un cercle vicieux duquel il est extrêmement difficile de sortir.
Stephanie Bioulac :
On n’a pas tous les mêmes besoins de sommeil et comme on a un petit peu sa personnalité, on a son tempérament de sommeil en termes de durée de sommeil ; chez l’adulte, ça va plutôt être autour de 8h de sommeil. Chez un enfant en maternelle, vers 3-5 ans, c’est autour de 11-12h. Et en primaire, c’est plutôt autour de 10h.
Carmen Schröder :
Une bonne nuit de sommeil, c’est une nuit qui nous permet d’être bien fonctionnel la journée, d’être avec une humeur qu’on arrive à peu près à réguler, d’être attentif, on arrive à apprendre, on arrive à se concentrer sur les autres, être en bonne interaction la journée.
Et tenir une période de veille étendue, bien sûr pas pour le petit enfant qui a besoin d’une sieste, mais pour les autres, à partir de 5-6 ans normalement, on tiendrait toute la journée éveillé. Bien sûr, dans les troubles du neurodéveloppement, la sieste peut parfois être nécessaire plus longtemps, tout simplement pour, je pense, se mettre en position off pour récupérer à nouveau la régulation des émotions et tout ce qui vient avec et après pouvoir attaquer la deuxième partie de la journée.Donc si c’est que la nuit qui est perturbée alors que la journée ça se passe merveilleusement bien, l’enfant est présent, bien régulé, etc., on considère que pour lui, il y a peut-être moins d’impact du coup sur son développement de son sommeil. Mais ça ne veut pas dire que ça n’a pas un impact sur les parents. Mais dans la majorité des cas, l’impact est sur les deux, sur l’enfant, sur son fonctionnement de la journée et sur les parents. Et à partir du moment où on a un impact sur le fonctionnement diurne de l’enfant ou des parents, il faut faire quelque chose.
Aurélie :
Le message essentiel, c’est d’en parler et de ne pas rester un peu enfermé dans une espèce de fatalité qu’on a déjà chez le tout petit enfant, il faut vraiment en parler et croire que les choses peuvent s’améliorer.
Stephanie :
Moi j’ajouterais effectivement “en parler” déjà suffisamment tôt, donc avant que ça craque, ne pas attendre que la situation soit tellement insupportable et que la vie de famille explose pour vraiment s’attaquer au sujet.
Carmen Schröder :
C’est très important d’en parler si c’est un vrai symptôme de souffrance pour l’enfant ou pour les parents, mais c’est aussi important d’en parler de toute façon parce qu’on peut quand même améliorer le sommeil, on ne peut pas toujours le rendre parfait ( je ne veux pas non plus créer cette illusion-là !) mais ça n’existe quasiment pas qu’on n’arrive pas à amener une amélioration du sommeil. Et puisque ça a un impact positif sur le développement et sur le fonctionnement diurne, c’est dommage de s’en priver aussi, parce que c’est au moins un des leviers qu’on a, alors que sur d’autres symptômes, on ne peut pas toujours agir. Parce que c’est vraiment cette triangulation sommeil, fonctionnement autistique, comportement. Le sommeil, on peut agir dessus.
Aurélie :
Jusqu’à l’âge de 5-6 ans, je n’ai pas passé une nuit complète avec des réveils nocturnes extrêmement longs, entre 3 et 5h du matin. Aujourd’hui c’est un très bon dormeur. On peut en sortir.
Épisode 2
Mon enfant a un problème de sommeil : que faire ?