Autisme et lipidome plasmatique : interactions avec les facteurs génétiques et environnementaux
Les liens entre le métabolisme des lipides et les troubles du spectre de l’autisme (TSA) restent largement hypothétiques, tout en faisant l’objet d’une recherche active. Certaines mutations des gènes impliqués dans ce métabolisme (tels le gène EFR3A4) sont associées à des TSA idiopathiques non syndromiques. Par ailleurs, certaines maladies orphelines génétiques liées à des déficits enzymatiques spécifiques s’accompagnent de troubles du neurodéveloppement : c’est le cas du syndrome de Smith-Lemli-Opitz, du syndrome de Niemann-Pick ou encore du syndrome de Tay-Sachs.
En dehors de ces pathologies, quelques études plaident en faveur d’associations significatives entre certaines dyslipidémies et certaines formes de TSA. Par ailleurs, les dyslipidémies athérogènes sont plus fréquentes en cas de TSA, ce qui pourrait relever de préférences alimentaires défavorables, conséquences d’intérêts restreints et de sensibilités sensorielles spécifiques. Même si les études actuelles sont peu concluantes, les troubles du sommeil fréquents chez les patients avec TSA favoriseraient également la survenue d’un surpoids, voire d’une obésité, et de troubles métaboliques dès la petite enfance.
Une étude transversale australienne
Malgré l’intérêt porté au lipidome des patients vivant avec un TSA, force est de constater que les données actuelles sont insuffisantes pour établir avec certitude le rôle propre des facteurs pathogéniques potentiels, au demeurant nombreux et intriqués. D’où l’intérêt d’une étude transversale australienne qui a fait appel à deux vastes bases de données, en l’occurrence l’AAB (Australian Autism Biobank) et le QTAB (Queensland Twin Adolescent Brain) Project. Les relations entre le lipidome plasmatique et les traits autistiques ont été ainsi explorées en intégrant des données phénotypiques et biologiques, mais aussi génétiques et environnementales. Le lipidome plasmatique (en l’occurrence 783 espèces de lipides identifiées par spectrométrie de masse) a été évalué chez 765 enfants (dont 485 cas de TSA confirmés).
Certains lipidomes ont été associés au diagnostic de TSA (n=8), aux troubles du sommeil (n = 20) et aux fonctions cognitives (n = 8). Par ailleurs, il semble que les acides gras polyinsaturés à longue chaîne puissent jouer un rôle causal dans les troubles du sommeil liés aux TSA et au cluster génique FADS.
Un lien avec les habitudes alimentaires et les troubles du sommeil
Les chercheurs ont étudié l’interaction des facteurs environnementaux avec le développement neurologique et le lipidome. Ils ont constaté que les troubles du sommeil et une alimentation déséquilibrée ont un profil lipidique convergent qui est également associé de manière indépendante à une fonction adaptative plus faible. Le microbiote pourrait intervenir en tant que médiateur dans les effets multiples de ces interactions. Les différences entre les lipidomes en cas de TSA semblent bien relever des habitudes alimentaires et des éventuels troubles du sommeil. Chez un jeune patient avec TSA, il a été mis en évidence une délétion importante du gène LDLR et de deux gènes associés aux TSA (en l’occurrence ELAVL3 et SMARCA4), alors que l’analyse du lipidome révélait des perturbations profondes du métabolisme des lipoprotéines de basse densité. Cette étude rend compte de la complexité pathogénique des troubles du neurodéveloppement, tout en insistant sur l’importance biologique potentielle du lipidome plasmatique. Il s’agit là d’un domaine de recherche prometteur qui pourrait déboucher sur des stratégies thérapeutiques personnalisées, encore que les associations mises en évidence restent à préciser. Le lien de causalité est souvent difficile à établir, tout autant que la signification clinique de certaines anomalies purement biologiques. Les technologies dites « omiques » à haut débit qui analysent certains traits moléculaires n’en répondent pas moins aux interrogations pathogéniques suscitées par les troubles du neurodéveloppement.
Dr Philippe Tellier
Article originel :
Yap CX, et al. Interactions between the lipidome and genetic and environmental factors in autism. Nat Med. 2023 Apr;29(4):936-949. doi: 10.1038/s41591-023-02271-1. Epub 2023 Apr 19.